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10 août 2020

COVID-19 au Cameroun : le défi d’intégrer la santé mentale dans la réponse face à la pandémie

À l’heure où certains pays se préparent à une potentielle deuxième vague de COVID-19, la propagation du virus n’en finit pas sur le continent africain. Au Cameroun, face à la crainte ou au déni de la maladie, ALIMA (The Alliance for International Medical Action) accompagne psychologiquement les patients et soignants à l’Hôpital Central de Yaoundé.

Discutez avec l’un d’eux, patients, soignants, personnels de l’hôpital, et ce que vous découvrirez, en filigrane de la discussion, c’est la peur. Peur d’être contaminé, de contaminer, peur de souffrir, de mourir, peur d’être stigmatisé. « Au début, j’étais stressée à l’idée de travailler dans le service qui est au plus près des malades, se souvient Jeanne Kontchiachou Atyame. À la fin du mois d’avril, la secrétaire a été affectée au secteur Isolement installé avec ALIMA à l’Hôpital Central de Yaoundé. J’avais peur pour ma propre santé. »

Ici comme ailleurs, « nombreuses sont les personnes qui ont pris la pandémie à la légère », se désole Jeanne. Le 9 août, on comptait 17 586 cas confirmés et 393 décès au Cameroun. Dans la zone de triage installée dès le mois de mars par ALIMA en partenariat avec le Ministère de la Santé camerounais, des patients sont inquiets. Pauline Diane Mahouve Djeni patiente sous la tente en bâches blanches. La trentenaire est venue de son propre chef, avec son mari, après avoir été en contact avec une personne testée positive. « Je suis très anxieuse, reconnaît-elle, en attendant de recevoir le résultat de son test COVID-19. Si le résultat est positif, j’ai peur de contaminer mes enfants. Et puis toutes les personnes avec lesquelles j’ai été en contact vont devoir passer un test. »

Jeanne et Pauline sont loin d’être des cas isolés. Maxence Momha Ngo l’observe tous les jours : « Comment répondre lorsqu’un patient vous dit qu’il a peur de l’isolement ? », se demande le médecin urgentiste. « Moi médecin, je n’ai pas de réponse à cette question », affirme-t-elle. Au centre de triage un soutien psychologique a rapidement été mis en place.

Discussion devant la zone d’isolement entre l’urgentiste Maxence Ngo Momha, 28 ans, et quelques membres de l’ONG ALIMA. Yaoundé, Cameroun, juillet 2020. © Daniel Beloumou / ALIMA.

« Le caractère nouveau d’une crise sanitaire qui touche le monde entier est très anxiogène pour les populations »,  explique Valérie Chanfreau, référente santé mentale chez ALIMA. « Les personnes y répondent différemment : par de l’obsession (tout nettoyer indéfiniment), par du déni devant la maladie, etc. Ce sont des mécanismes très puissants qui influent sur la santé physique de la personne », insiste la psychologue clinicienne. Pour une bonne prise en charge, « il faut considérer la personne de façon globale ».

Depuis 1993, l’Organisation mondiale de la Santé recommande d’intégrer la prise en charge psychosociale (la santé mentale et le soutien psychosocial) dans toutes les réponses de santé publique. Au Cameroun, la prise en charge globale du patient, tant physique que psychologique n’est pas encore très développée. Le manque de psychologues est d’ailleurs criant. Depuis 2014, ALIMA intègre le pendant psychologique dans ses programmes d’urgences médicales humanitaires. À l’Hôpital Central de Yaoundé, l’équipe propose ainsi aux professionnels de la santé des modules de formations sur la gestion du stress des équipes, des patients et de leur entourage. L’objectif : faire comprendre les mécanismes psychologiques liés à la maladie et renforcer la qualité de la relation soignants-soignés.

Secteur du triage. Hôpital central de Yaoundé. Portrait du psychologue Taïki Foka Simon. Yaoundé, Cameroun, juillet 2020. © Daniel Beloumou / ALIMA

À 27 ans, Simon Taïki Foka fait partie de l’équipe qui doit apaiser les peurs des patients comme du personnel de l’hôpital. « Mon boulot consiste à soutenir les personnes, les accompagner : je suis là pour aider », confie le psychologue clinicien. Sa mission : éviter que le résultat positif d’un test COVID-19 n’impacte négativement le moral et crée un état d’anxiété ou de tristesse envahissant.  

Chaque jour, dans la zone de triage, Simon forme de petits groupes de personnes pour faire de la psycho-éducation. Il explique comment le test va se passer, prépare les personnes à recevoir le résultat de leur test. « Passer de personne bien portante à personne malade est un changement de statut difficile à intégrer », explique Valérie Chanfreau. Simon accompagne aussi l’équipe médicale lors de l’annonce des résultats. Individuellement, il accueille et écoute chaque patient pour évaluer son état psychologique, et peut aussi recevoir les familles, car le lien est parfois difficile.

Le personnel soignant, comme Jeanne et tous les autres, nécessite aussi une attention particulière. « Malgré les mesures de prévention et de protection, ils sont aussi des êtres qui se retrouvent dans des situations où ils peuvent être contaminés », raconte Valérie Chanfreau. En Afrique, le 5 août 2020, 15 662 agents de santé étaient contaminés. Et cette crainte de la maladie se répercute dans la relation au patient. Alors Simon les rassemble régulièrement pour des groupes de paroles et des ateliers de relaxation par la musique.

*Photo de couverture : © Daniel Beloumou / ALIMA

Le projet ALIMA de réponse au COVID-19 au Cameroun reçoit le soutien financier de l’Agence française de Développement (AFD).

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