Les acteurs humanitaires, eux aussi, polluent. Ils alimentent ainsi un triste paradoxe : en apportant de l’aide, ils contribuent à accélérer le dérèglement climatique… qui alimente lui-même les crises humanitaires auxquelles ils répondent. C’est le serpent qui se mord la queue.
Depuis 2 ans, ALIMA s’est remise en question et a revu drastiquement son mode opératoire en transformant ses pratiques les plus polluantes et les plus émettrices de gaz à effet de serre, et en aidant les services de soins nationaux à s’adapter aux conséquences du changement climatique.
Voici quelques enseignements tirés du premier rapport d’avancement publié par ALIMA.
« En tant qu’ONG d’urgence médicale intervenant dans 14 pays pour garantir l’accès aux soins des populations les plus vulnérables, ALIMA est en première ligne face aux défis majeurs de ce 21ème siècle : crises sociales et économiques, intensification des mouvements de population, multiplication des conflits armés… et dérèglement climatique.
Le changement climatique redessine et complexifie les contextes d’intervention de nos équipes sur le terrain
Ce changement climatique a considérablement contribué à redessiner et complexifier les contextes d’intervention de nos équipes sur le terrain : modifications de la distribution et de l’incidence de pathologies préexistantes, émergence de nouvelles maladies, pression accrue sur les infrastructures de soins, catastrophes naturelles, ruptures de la chaîne d’approvisionnement, dépendance aux énergies fossiles : le changement climatique nous oblige à reconsidérer notre modèle pour anticiper l’évolution de nos contextes d’intervention, déjà dégradés par le facteur climatique. Avec des besoins humanitaires toujours plus importants. Avec la même exigence de qualité dans les soins délivrés. Et surtout, avec la même mission : agir au plus près du patient. »
Les humanitaires face au changement climatique : s’engager et agir pour trouver des solutions
« Notre responsabilité d’acteur médical nous pousse à nous emparer du sujet. Il serait contre-productif de ne pas tenir compte de ces évolutions : nous le devons à celles et ceux que nous sommes censés soutenir et soigner. Ne pas le reconnaître serait hypocrite : nous faisons partie du problème. Parce que le modèle global de l’action humanitaire est encore largement dépendant des énergies fossiles. Parce qu’il repose sur une longue et complexe chaîne d’approvisionnement. Parce que nous nous déplaçons chaque jour sur terre ou dans les airs pour soigner des patients. Parce que nous consommons et produisons des déchets, biomédicaux et ménagers.
Si nous voulons contribuer à lutter contre le changement climatique et à garantir des conditions de vie supportables pour les populations que nous soignons, nous devons regarder cette réalité en face et apporter des solutions. Dans ce contexte, il était nécessaire de définir un plan d’action. »
Réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’ONG
« ALIMA s’engage sur un objectif de réduction de 50 % (en intensité) de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (un objectif aligné de facto avec les recommandations du GIEC et du consensus scientifique international) (…).
Il y apparaît notamment que 85 % des efforts nécessaires pour atteindre cet objectif reposent sur cinq solutions prioritaires : remplacer progressivement le fret aérien par le fret maritime ; décarboner notre production et notre consommation d’énergie en développant le recours aux énergies renouvelables ; réduire nos déplacements par avion ; optimiser la consommation de carburant de notre parc de véhicules ; encourager les achats responsables. »
Face à l’urgence climatique, accélérer la transition écologique en 2024
Les leçons apprises après presque deux ans d’action permettent de réviser ou de confirmer les perspectives d’ALIMA. En voici cinq pour 2024 :
- Avoir un plan d’action environnemental pour chaque pays d’action ALIMA
« Après chaque formation à la planification environnementale (organisée dans chaque mission-pays d’ALIMA), les équipes pays ont les moyens de définir leur propre plan d’action pays pour mettre en œuvre des activités adaptées au contexte de la mission assorties d’indicateurs et de moyens spécifiques à la mise en œuvre de la feuille de route. Il s’agit que chaque pays se dote d’un cadre de planification et d’un suivi plus rapproché soit réalisé par l’équipe Environnement au siège pour assurer l’atteinte des indicateurs, la mobilisation des moyens nécessaires et le déploiement opérationnel des actions planifiées. L’appui technique proposé aux équipes du terrain sera également renforcé et étendu.
- Affiner nos priorités stratégiques et nos objectifs
Pour être crédibles et appliquées par les équipes au niveau des projets, nos priorités doivent être réalistes. A l’aune du dernier Bilan carbone réalisé et portant sur l’année 2022, il apparaît par exemple que les achats de biens et de services d’ALIMA (médicaments, équipements…) représentent une part plus conséquente qu’initialement estimée dans le volume total de ses émissions de gaz à effet de serre. Fort de ce constat, il s’agira d’adapter notre stratégie sur ce volet avec un effort particulier orienté vers une action collective, avec d’autres acteurs du secteur, un dialogue avec les fournisseurs essentiels de nos achats médicaux et autres, l’analyse du cycle de vie de certains items distribués en quantités, l’intégration de nouveaux critères dans les procédures d’achats ou encore le recours à des fournisseurs locaux reconnus. Par ailleurs, un travail d’analyse sera fait pour réévaluer la pertinence de certains indicateurs fixés dans la feuille de route environnementale.
- Réaliser des analyses d’impact environnemental
En 2022 et en 2023, ALIMA a formé ses équipes à l’utilisation de NEAT+ (un outil d’analyse des risques développé par UNEP-OCHA et d’autres acteurs humanitaires) pour identifier et prévenir les risques environnementaux liés à ses projets médicaux. Afin de poursuivre et systématiser ce type d’analyse, ALIMA souhaite adapter cet outil et former plus de personnel humanitaire pour mieux intégrer la gestion de ces risques dans les activités des projets de santé humanitaires.
- Mesurer la quantité de déchets produits par nos activités
En 2024, ALIMA envisage de calculer de manière plus précise la quantité de déchets (et d’établir une véritable typologie) émis à travers ses opérations, en déployant un plan de suivi des déchets à l’échelle des hôpitaux, des centres de santé, des cliniques mobiles et des postes de santé avancés. Ce travail a débuté au deuxième semestre de 2023 et permettra de réduire la pollution locale liée aux déchets biomédicaux et ménagers, en identifiant les meilleures solutions à déployer tout au long du cycle de vie des items concernés.
- Capitaliser et valoriser nos actions environnementales
La capitalisation est essentielle pour ALIMA, car elle permet de mettre en lumière des pratiques inspirantes et duplicables à l’échelle de l’ensemble des projets de l’ONG, voire du secteur. C’est la raison pour laquelle des moyens seront mis en œuvre pour favoriser les différents échanges entre les équipes du terrain, celles du siège et le reste de la communauté humanitaire. Identifier les bonnes pratiques, valoriser les réussites et partager les enseignements permettra d’amorcer un effet domino en inspirant l’ensemble de l’organisation. »