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10 août 2022

ALIMA en Ukraine : les défis de l’ouverture d’une mission d’urgence

Quelques semaines après le début de nos activités en Ukraine, en avril dernier, nous avions rencontré Benoît Loop et Antoine Maillard de retour d’une mission. Ils nous avaient partagé leurs témoignages sur l’action d’ALIMA sur place. Après six semaines d’intervention, les défis restaient nombreux mais les réussites étaient déjà là !
Benoît Loop, Directeur des Ressources Humaines et Coordinateur d’urgence pour la mission Ukraine

Comment s’est passée l’arrivée d’ALIMA en Ukraine ?

ALIMA est arrivée en Ukraine fin mars. Dès le départ, l’équipe de coordination s’est basée à Odessa (3e ville du pays, située au sud, sur la mer Noire) près de la Moldavie. Mais les activités étaient déployées dans l’oblast (région) de Mykolaïv, à 2h30 de route à l’est. La ville de Mykolaïv a été vidée de la moitié de sa population depuis le début de la guerre.
Depuis son arrivée, ALIMA s’est positionnée dans cette région du Sud de l’Ukraine, où toute une partie de la population vit toujours entre Mykolaiv et Kherson, une ligne de front très active. Les habitants de ces villes et villages qui n’ont pas fui, par choix, par manque de moyen ou tout simplement par incapacité, doivent continuer à accéder aux soins de santé. On retrouve parmi ces gens de nombreuses personnes isolées et vulnérables, qui souffrent de maladies chroniques mais peinent à accéder à leur traitement et aux consultations médicales. Elles sont exposées à des complications et à un risque dangereux d’augmentation de la mortalité.
Par ailleurs, les hôpitaux du ministère de la santé ont besoin d’approvisionnement médical pour absorber l’augmentation du nombre de blessés et continuer à fournir des soins à tous les patients malgré les difficultés liées à la guerre. Et enfin, nous avons rencontré des personnes exposées à des niveaux de violences critiques, qui ont fui les combats et les bombardements dans leur village et se retrouvent dans un besoin immédiat de soins psychologiques d’urgence.
Cette phase de déploiement est extrêmement compliquée. On arrive et rien n’est mis en place, personne ne connaît l’organisation, nous ne savons pas quels sont les acteurs présents, ni quels secteurs sont couverts. Il a donc fallu travailler avec les réseaux de volontaires Ukrainiens dans un premier temps, puis nous avons pris contact avec le Ministère de la santé de Mykolaïv pour développer un partenariat. Aujourd’hui, nous avons une équipe de 5 staff internationaux, supportés par une dizaine de recrutements locaux (traducteurs, chauffeurs, logisticiens…)..

Qu’est-ce que tu as fait en Ukraine ?

Bien que je sois Directeur des Ressources Humaines chez ALIMA, je suis parti en tant que Coordinateur Urgence. Donc, pendant 4 semaines, mon rôle a été de coordonner notre intervention sur place en affinant l’évaluation des besoins ainsi que la stratégie opérationnelle avec l’aide du coordinateur médical. J’ai aussi assuré un rôle de représentation de l’organisation auprès des autorités et supervisé les questions de sécurité avec l’analyse du contexte tout en gérant la mise en place de l’équipe (aspects logistique, RH, financier…). Globalement, je devais vérifier que tout était bien en ordre. C’est l’équivalent d’un poste de chef de mission.

Selon toi, quel est l’enjeu principal actuellement et quelle est la plus belle réussite ?

Actuellement, un des enjeux se situe au niveau des RH. Les besoins en ressources humaines sont importants du fait des besoins spécifiques humanitaires mais aussi du fait de la mise en place par ALIMA de rotations régulières pour permettre au personnel d’avoir du temps de repos suffisant (les missions durent entre 4 et 6 semaines sur place). Une autre difficulté est liée au besoin de VISA pour pénétrer l’espace Shengen constituant un frein pour le déploiement du personnel humanitaire.
Notre réussite est d’avoir très vite apporté une aide médicale aux populations vulnérables dans les zones les plus dangereuses et aux hôpitaux de la ville, en nouant des partenariats avec les autorités sanitaires locales, les réseaux de volontaires, les grandes institutions internationales, type OMS, les autres ONG et les réseaux de volontaires locaux dans un contexte tout à fait nouveau pour ALIMA. On a réussi à délivrer de l’aide médicale urgente selon le modèle ALIMA en dehors de l’Afrique ; c’était un pari ambitieux, mais relevé.

Equipe Ukraine
De gauche à droite : Artem, Traducteur; Dr Pavel, Responsable de l’aire sanitaire de Vitovski Raion; Benoit Loop, Directeur des ressources humaines; Dr Galina, Neurologue; Antoine Maillard, Pharmacien clinique
Antoine Maillard, pharmacien clinique

Qu’est-ce qu’ALIMA fait en Ukraine ?
En Ukraine, ALIMA travaille autour de trois axes principaux :
1. Le soutien aux soins chirurgicaux. On ne propose pas de personnel médical supplémentaire car il y a les professionnels de santé qu’il faut sur place, mais on intervient plutôt en termes d’apport d’équipement, de médicaments, de consommables. Et nous apportons une réponse aux besoins spécifiques en termes de formation, notamment sur la prise en charge chirurgicale des brûlures causées par les bombardements. L’idée est de donner aux équipes médico-chirurgicales locales les moyens de travailler face à l’afflux de blessés.
2. Les soins de santé primaire. Afin de permettre la continuité des traitements des pathologies chroniques (types diabète, hypertension, asthme, maladies cardio-vasculaires…), ALIMA soutient la demande de médicaments nécessaires. Dans les zones rurales, bien que les centres de santé restent fonctionnels, le problème du suivi médical est encore plus prononcé du fait de la réduction du nombre de personnel soignant (soit mobilisés au front, soit qui ont fui les combats) et de l’isolement de certaines populations à cause du conflit. Donc on participe à renforcer la coopération entre les réseaux de volontaires locaux, les travailleurs sociaux et ces centres pour que les personnes vulnérables puissent être prises en charge.
3. Les soins de santé psychologique. Suite aux évaluations menées par les équipes ALIMA en arrivant sur place, on a constaté que le besoin en santé mentale était un sujet. A Mykolaïv, on entend des bombardements tous les jours, qui peuvent toucher des zones habitées et engendrer des victimes ; c’est stressant. Les gens sont très résilients et la vie continue malgré tout parce que les habitants s’habituent, mais le besoin psy est là. On a donc décidé de coordonner la réponse dans ce domaine. Certains psychologues se sont déplacés à cause du conflit mais ils restent disponibles et opérationnels. On a donc organisé des consultations de groupe au sein des centres de personnes déplacées, des consultations individuelles au cas par cas selon les besoins, et des consultations en ligne pour les plus reculés. On a aussi donné des formations sur les premiers soins psychologiques pour que les volontaires et le personnel des centres de soin soient en capacité de prendre en charge les patients.

Qu’est-ce que tu as fait en Ukraine ?
Pendant 6 semaines, j’ai eu le rôle de coordinateur médical. Cela consiste à participer à l’élaboration de la stratégie médicale, discuter des besoins avec les différents partenaires, rédiger la liste de commandes médicales, identifier les recrutements nécessaires pour la mise en œuvre des projets et définir quels seront les indicateurs et les données à suivre. Mais tout ça n’est pas figé, la stratégie va évoluer au fil du temps.
On a accompagné la distribution de médicaments avec les volontaires. Cela a permis de commencer l’appui sans tarder, en offrant leur traitement à des patients qui sont restés dans leurs villages, à moins de 15 km de la ligne de front.

Penses-tu que la présence d’ALIMA en Ukraine est pertinente ?
ALIMA s’est bien implantée en quelques semaines seulement car les besoins sont présents. Notre seul devoir est de nous concentrer sur les activités pertinentes, qu’on maîtrise. Par exemple, l’OMS reçoit plein de kits pour la chirurgie, mais leurs équipes n’ont pas réussi à atteindre certaines zones pour les distribuer. Nous, grâce à nos réseaux, on a pu faire le dernier kilomètre pour que ces kits arrivent vers les hôpitaux.
On peut être fiers d’avoir respecté notre modèle en travaillant avec des organisations déjà sur place comme les réseaux de volontaires qui ont des relais communautaires dans chaque village et une bonne expérience du terrain. C’est comme ça qu’on peut atteindre les gens en rupture de soins. Selon moi, il ne faut pas se focaliser sur les frontières en termes d’intervention, mais vraiment sur les besoins. La santé mentale, le travail communautaire et la continuité des soins primaires sont au cœur de nos activités depuis des années. Certes, l’Ukraine se trouve de l’autre côté de la mer, mais on respecte notre philosophie !

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