« Plus on attend, plus l’onde de choc sera forte. » Tiré de la synthèse aussi alarmante qu’invisible du sixième rapport du GIEC, le constat de l’urgence climatique est sans équivoque. Et cette crise environnementale alimente dangereusement des crises humanitaires sans précédent. Le dérèglement climatique pèse lourdement sur les épaules de populations déjà extrêmement fragiles, et par ricochet, sur l’action des travailleurs humanitaires. Des solutions émergent pour faire face aux conséquences du changement climatique, et les humanitaires se doivent d’être exemplaires en la matière. Mais au bout du compte, ce sont les populations les plus vulnérables qui paient aujourd’hui la facture. Jusqu’à quand ?
L’Afrique paie le prix fort de l’inaction environnementale
Alors qu’elle ne contribue que très faiblement au dérèglement climatique, l’Afrique en paie déjà le lourd tribut. Avec moins de 4 % du total mondial des émissions de gaz à effet de serre, le continent cumule des épisodes extrêmes dont la fréquence et l’intensité ne font qu’augmenter. Sécheresses, fortes précipitations et inondations… L’Afrique subit de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique et de l’inaction des plus gros pollueurs.
Les événements climatiques extrêmes sont autant de catastrophes humaines qui mettent les systèmes de soins sous tension. L’incidence de maladies telles que la malnutrition, le paludisme et le choléra augmente, pendant que de nouvelles maladies se développent (Fièvres de la Vallée du Rift, de Crimée Congo, de Lassa…). En parallèle, la dégradation des terres affecte directement les moyens de subsistance des populations et met en danger leur sécurité alimentaire, à l’instar de la crise que vit actuellement la Corne de l’Afrique.
L’Afrique n’a pas le temps d’attendre. En septembre 2021, la Banque Mondiale prévoyait qu’ « à l’horizon 2050, l’Afrique subsaharienne pourrait enregistrer jusqu’à 86 millions de migrants climatiques internes » et l’OMS s’attend à ce que le changement climatique entraîne près de 250 000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050, dus à la malnutrition, au paludisme et à la diarrhée.
S’adapter et faire face
L’Afrique est forcée de s’adapter à vitesse grand V. Non qu’elle soit particulièrement préparée à contrer la crise, bien au contraire, elle y est simplement acculée.
Sur le continent, des solutions vertes émergent au quotidien. Au Burkina Faso, le premier lauréat africain du prix Pritzker d’architecture Diébédo Francis Kéré conçoit des écoles avec des méthodes traditionnelles privilégiant la ventilation naturelle à l’utilisation massive de climatisations énergivores. A Mbrès, en République centrafricaine, ou encore à Barsalogho, au Burkina Faso, l’ONG ALIMA a permis à des hôpitaux, incluant des services de soins intensifs et des maternités, de passer à l’énergie solaire. Les populations qui ont le moins contribué à la crise climatique savent s’adapter aux changements. Leurs initiatives doivent maintenant être encouragées, soutenues et financées pour passer à l’échelle.
Que font les acteurs de la santé (locaux et organisations humanitaires) ? Afin de ne pas participer à la fragilisation des populations qu’ils mettent tant d’énergie à soigner, ils doivent absolument adapter leurs modèles et revoir leurs priorités. Priorité à la recherche pour mieux prendre en charge les maladies existantes et émergentes ; priorité à l’adaptation des structures de santé via l’énergie solaire, ainsi que dans l’approvisionnement en bateau plutôt qu’en avion… Réduire nos sources de pollution est possible, mais rien ne se fera sans moyens.
Serait-ce donc aux humanitaires de gérer la crise climatique ?
Lors de la COP 27, de nombreux pays occidentaux se sont engagés à apporter un soutien financier aux pays africains pour soutenir leurs efforts dans ce sens. Ces engagements doivent maintenant se traduire par la mise en place de mécanismes de financements directs pour l’adaptation et la résilience des populations locales et des acteurs de santé au changement climatique. La communauté internationale pourrait par exemple encourager l’intégration des conditions environnementales pour faciliter l’attribution de financements pour encourager les acteurs publics et privés à amorcer ou accélérer leur transition. Des bailleurs, comme ECHO (Aide Humanitaire et Protection Civile de la Commission européenne) ou certaines fondations, l’ont fait avec succès. Des financements pérennes doivent être mis en place pour lutter contre cette « injustice climatique ».
Les populations et les acteurs travaillant dans ces régions sont au cœur de la solution. Pour assurer un avenir à toutes et tous sur une planète habitable, les humanitaires aussi doivent s’engager concrètement. Seule une mobilisation internationale forte, intégrant pleinement les solutions locales, permettra à l’Afrique d’être résiliente face à l’urgence climatique.
Lien de la Tribune publiée dans La Croix
Photo de couverture © Patrick Meinhardt