Quels sont les défis spécifiques à envisager quand on fournit une assistance médicale d’urgence dans des situations complexes de crise humanitaire ?
Les défis vont vraiment varier selon le type de crise à laquelle nous sommes confrontés. Cela dépendra si l’urgence est due à une épidémie, comme Ebola, la méningite ou le choléra, etc., ou si elle est liée à un conflit. Les épidémies, par exemple, ont tendance à être courtes et imprévisibles, et frappent souvent des régions où le système épidémiologique est faible. La difficulté est de savoir comment exploiter la situation pour intervenir le plus rapidement possible. Nous avons besoin d’obtenir des informations sur la situation le plus rapidement possible et nous devons tout préparer pour pouvoir intervenir en quelques jours. Cela implique du personnel, des médicaments et des vaccins, des fournitures médicales et autres matériels, ainsi que des ressources financières prêtes à l’emploi. Si vous n’agissez pas rapidement, des gens meurent ; mais aussi si vous ne parvenez pas à agir rapidement, cela peut avoir un impact sur la propagation de l’épidémie.
Le deuxième type d’urgence se produit lors d’un conflit. Et tandis que les défis sont similaires à ceux rencontrés lors d’épidémies, le principal défi lors d’un conflit est l’accès aux populations. Comment répondre aux besoins des patients face à une multitude de défis en termes de logistique et de sécurité ? Comment pouvez-vous accéder à des zones interdites à la plupart des gens ? Comment pouvez-vous établir rapidement des relations non seulement avec les autorités locales, mais aussi avec les différents groupes rebelles armés, sans mettre votre équipe en danger ? C’est vraiment complexe. C’est pourquoi il importe plus que tout de travailler avec des organisations partenaires locales, car ce sont elles qui sont sur le terrain tous les jours, qui ont déjà établi des relations et qui ont accès aux zones où nous devons travailler.
Pourquoi est-il si important d’améliorer les dispositifs de préparation aux situations d’urgence ?
La phase de préparation est essentielle pour réduire les temps de réponse et fournir des soins dès que possible. Cela signifie qu’il faut être prêt avant même qu’une situation d’urgence n’existe. Normalement, il faut compter jusqu’à 8 semaines pour envoyer des fournitures médicales vers un nouveau site. C’est un délai trop long quand vous faites face à une situation d’urgence. La réponse viendra trop tard. Mais en disposant de stocks d’urgence et de personnel sur appel, prêt à se déployer à tout moment, on peut réduire les temps de réponse à moins de 72 heures. Cela vaut aussi pour les ressources financières. On a besoin de deux à six semaines pour signer les documents nécessaires et recevoir l’argent. Or ces deux premières semaines sont l’occasion unique d’intervenir. Donc, en réalité, vous devez déjà disposer de fonds, ou bien avoir en place un mécanisme de financement d’urgence qui vous permettra de libérer des fonds immédiatement. Et bien sûr, chaque urgence est unique. Chaque fois que nous répondons à une crise, il est important de faire preuve de capacité d’adaptation. A chaque fois, nous évaluons la situation dans sa spécificité et adaptons la réponse aux besoins, afin de fournir les meilleurs soins possibles.
Depuis qu’ALIMA a commencé ses premières interventions il y a neuf ans, quels changements avez-vous vus en termes d’intervention d’urgence ?
Aujourd’hui, nous sommes beaucoup mieux préparés à répondre aux urgences. Non pas que nous n’étions pas préparés dans le passé, mais on peut dire que chaque fois que nous répondons à une urgence, nous nous améliorons un peu plus, nos équipes deviennent un peu plus fortes. Nos moyens financiers se sont également améliorés ; nos stratégies de préparation se sont améliorées ; nous avons maintenant la capacité de lancer des projets de recherche en situation d’urgence, ce qui nécessite beaucoup de ressources. Chaque fois que nous répondons à une crise, il y a des leçons apprises. Nous regardons ce qui s’est bien passé, et ce qui peut être amélioré, et bien sûr, comment pouvons-nous mieux travailler avec les partenaires locaux et les communautés pour combler les lacunes. Le résultat de cette analyse aboutit à une intervention plus rapide et plus efficace la prochaine fois.
Que faut-il faire d’autre pour s’assurer que la qualité et la capacité à dispenser des soins de santé lors de crises soient améliorées ?
Nous avons besoin de disposer de plus de ressources financières dédiées uniquement aux urgences. La nature de notre financement auprès des donateurs ne nous permet pas toujours de garder autant de réserves que nous le souhaiterions. Cela peut empêcher une intervention d’urgence rapide. Et bien sûr, nous aimerions augmenter notre réserve de personnel compétent et qualifié qui peut rapidement se déployer dans les zones de conflit ou d’épidémie, car cela est essentiel pour améliorer nos interventions.
Quel est le rôle que joue la recherche dans l’amélioration des soins de santé en cas d’urgence ?
La recherche joue plusieurs rôles. Le premier consiste à répondre aux besoins épidémiologiques spécifiques pendant les situations d’urgence. Par exemple, avec Ebola, il n’y avait pas de vaccins contre la maladie pendant longtemps, et il n’y avait pas de médicaments éprouvés pour traiter la maladie. Mais en lançant des essais de médicaments et de vaccins au cours d’une épidémie, nous avons pu tester leur efficacité. Cette recherche nous a permis d’améliorer les chances de survie des patients et de réduire le risque d’infection des agents de santé. C’est le genre de recherche qu’on peut seulement effectuer en situation de crise. Cependant, la recherche dans ce contexte est très difficile, car les situations d’urgence, en particulier les épidémies, sont courtes et imprévisibles. Les choses se passent rapidement, les ressources sont limitées et, par conséquent, le calendrier normal de la recherche ne peut être respecté. C’est une course contre le temps. Nous ne pouvons pas attendre des semaines ou des mois pour obtenir les autorisations. Parfois, dans les zones de conflit, nous ne pouvons pas envoyer de chercheurs en toute sécurité. Encore une fois, la clé est d’être préparé, d’avoir des protocoles prêts à l’avance. C’est ce que nous faisons au sein de la plateforme CORAL (Alliance de Recherche Clinique et Opérationnelle) et c’est pourquoi nous participons au consortium ALERRT – nous avons désormais les outils et les moyens pour lancer des projets de recherche en situation d’urgence.
Augustin Augier – Directeur Général d’ALIMA