Tatiana, 35 ans, vit dans la région du Haut-Mbomou. Elle est née de petite taille et malgré son handicap, elle a donné naissance par césarienne à Nathan, son deuxième fils.
La région du Haut-Mbomou, située à l’extrême sud-est de la République centrafricaine et confrontée à une insécurité chronique, voit sa population souffrir d’un manque d’accès aux soins de santé.
Perdre la vie en la donnant est le sort de nombreuses femmes en République centrafricaine. Sur 100 000 naissances vivantes, 829 femmes décèdent. Ce taux de mortalité maternelle est le cinquième plus élevé au monde.
A l’est du pays, dans la région du Haut-Mbomou, à environ 1 000 km de Bangui, la ville de Zémio est un foyer d’insécurité depuis les années 1990s. Les pillages, braquages et conflits armés entraînent de nombreux déplacements de populations à l’intérieur du pays, ainsi que vers la République démocratique du Congo, pays frontalier.
Dans la maternité de l’hôpital de Zémio, les équipes ALIMA accompagnent les femmes enceintes tout au long de leur grossesse, des consultations prénatales à l’accouchement, puis dans un suivi post natal avec leurs bébés.
« Je n’ai pas de maladie, je suis née de petite taille. »
Tatiana, 35 ans, y est prise en charge depuis près de deux mois par les équipes d’ALIMA. La jeune femme vient de donner naissance à son deuxième garçon, le petit Nathan Dieu Sauvé. Mesurant 1 mètre, Tatiana est consciente que chaque grossesse représente un risque pour sa vie.
« On m’a expliqué que toute ma vie, pour donner naissance à un enfant, ce serait toujours par césarienne. »
« C’est le deuxième garçon que j’ai et à chaque fois, on a dû me faire une césarienne. Mon bassin est trop petit, je ne peux pas donner naissance par voie basse », raconte-t-elle. Comme pour son premier enfant, elle est venue accoucher à l’hôpital de Zémio, pourtant très éloigné de chez elle. À Djemah, d’où elle est originaire, le centre de santé ne permet pas de prendre en charge sereinement son cas. Mais les 135 km de mauvaise route qui séparent sa ville de Zémio rendent son suivi médical extrêmement difficile.
« Je suis venue à l’hôpital de Zémio sur une moto. J’étais avec ma petite sœur, et j’étais enceinte de 7 mois. »
Tatiana
Avant son accouchement, Tatiana a passé un mois et demi à l’hôpital de Zémio. Aujourd’hui, elle et son petit garçon se portent bien.
Une grossesse et un accouchement à haut risque
« Ma première grossesse a été très difficile, j’avais eu beaucoup de douleurs. Ça n’a pas été le cas cette fois-ci et je me porte bien. Mon bébé et moi, nous sommes en bonne santé »
Pour autant, la jeune femme ne veut plus prendre de risque. « Deux garçons c’est déjà très bien, je ne souhaite plus avoir d’enfants », raconte-t-elle. « Ma famille, mon compagnon et moi avons adressé une lettre au personnel de l’hôpital pour demander à ce que je ne tombe plus enceinte. C’est pour ma santé. Je suis obligée de faire des opérations [césariennes, NDLR] pour donner naissance. Comme j’habite loin de l’hôpital de Zémio, c’est trop risqué. »
Noëlla, la seule sage-femme de la maternité de l’hôpital de Zémio raconte : « Du fait de sa petite taille, elle ne peut pas accoucher sans césarienne. Ses grossesses et ses accouchements sont extrêmement risqués, pour elle et pour les bébés. Suite à la lettre adressée par Tatiana et sa famille, avec le soutien de son compagnon, nous avons réalisé une ligature de ses trompes. Elle ne pourra plus avoir d’enfants. »
Dans la cour de l’hôpital, Laurentine, la petite sœur de Tatiana, prépare régulièrement le petit déjeuner et le déjeuner. Les aliments pour ces repas sont distribués gratuitement aux femmes prises en charge et à leurs proches.
Tatiana n’est pas venue seule jusqu’à Zémio. En l’absence de son compagnon, immobilisé en ville pour assurer son travail et continuer à subvenir à la famille, sa jeune sœur a tenu à l’accompagner jusqu’au bout.
« Nous sommes parties de Djemah en moto. La route était longue pour arriver à l’hôpital de Zémio », se souvient Laurentine. L’étudiante de 19 ans était la seule de la famille à pouvoir quitter le village, au prix de quelques semaines d’absence de cours. Émue, elle raconte : « Je devais être présente pour ma sœur, pour la soutenir. J’ai raté les cours pour être à ses côtés, mais je ne regrette pas du tout. Je devais être là. J’étais très inquiète, je ne savais pas comment ça allait se passer. »
« Je fais confiance aux équipes ici. Elle a été bien prise en charge. »
Laurentine
« Je suis soulagée d’avoir pu accompagner ma sœur. Je ressens beaucoup de joie et je remercie cet hôpital. On va bientôt pouvoir rentrer à Djemah. Ma soeur et son enfant sont en vie et en bonne santé. Ils ont été sauvés et la famille est heureuse, ça n’a pas de prix et nous sommes reconnaissants. »
Le compagnon de Tatiana, Emile, 32 ans, est cultivateur à Djemah. Lorsqu’il a appris que son fils était né, il a trouvé une solution pour faire le déplacement et venir soutenir sa compagne. Son fils avait déjà une semaine lorsqu’ils ont pu se rencontrer pour la première fois.
« Mon compagnon n’a pas pu venir avant. C’est une semaine après la césarienne qu’il a pu se libérer. Depuis près de 3 semaines, il est à l’hôpital avec nous et nous repartirons à Djemah ensemble. »
Emile savait que Tatiana se battrait. « Je trouve Tatiana calme et forte à la fois », livre-t-il. Originaires du même quartier, ils se connaissent depuis le plus jeune âge. Tous les deux ont été mariés et ont eu des enfants de leur premier mariage, puis ont fini par se retrouver. « Je la connais depuis longtemps et je l’ai vu grandir. Tatiana est spontanée. Elle est généreuse et aime aider la communauté. À mes yeux, ce sont de belles qualités. »
« C’est une grande joie pour moi d’avoir un petit garçon et je suis soulagé que Tatiana et notre bébé soient en bonne santé. J’avais peur de les perdre tous les deux. »
Emile
Le retour à Djemah
Prise en charge à l’hôpital depuis près de 2 mois, Tatiana s’impatiente de rentrer chez elle, à Djemah, pour retrouver son autre fils, ses habitudes et sa maison. Mais il n’est pas question de ramener toute la famille à moto.
« Médicalement, ils sont prêts à quitter l’hôpital. Le petit garçon et sa mère vont bien, la cicatrice de sa césarienne est propre », précise Noëlla, sage-femme. « Ils rentreront avec une voiture ALIMA car faire la route en moto serait trop dangereux pour la maman et l’enfant. »
« La route de Zemio à Djemah est éprouvante. Entre les trous, les pierres, la poussière et la chaleur [près de 40 degrés], c’est impensable de les laisser rentrer à moto. »
« Voir Tatiana en bonne santé, souriante et impatiente de rentrer, voilà toute la satisfaction de mon travail. »
Noëlla, sage-femme
Depuis le reportage, nous avons demandé des nouvelles de toute la famille à Noëlla. Tatiana est bien rentrée, avec son bébé, son compagnon et sa sœur. Yves Jacob a pu rencontrer son petit frère.
Plusieurs mois après, on discerne dans la voix de la sage-femme cette émotion de celles et ceux pour qui le bonheur des autres fait le leur : « Toute la famille va bien. Je fais un beau métier. »
« Toute la famille va bien. Je fais un beau métier. »
ALIMA est active en République centrafricaine depuis 2013 et se concentre sur l’apport de soins de santé primaires et secondaires aux femmes enceintes, allaitantes et aux enfants. Ses équipes réalisent également des consultations et diagnostics afin d’offrir des soins médicaux et nutritionnels. A Zémio, ALIMA (The Alliance for International Medical Action) a réhabilité l’hôpital et prend en charge gratuitement les patients, particulièrement les populations les plus vulnérables telles que les femmes enceintes et allaitantes au niveau de la maternité, mais aussi les enfants au niveau de la pédiatrie, ainsi que les victimes de violences sexuelles et les urgences vitales. Les équipes d’ALIMA sur place forment également du personnel de santé et travaillent en étroite collaboration avec la Direction de la Région Sanitaire. L’objectif de ce projet est de réduire la mortalité et la morbidité en renforçant les capacités du district sanitaire du Haut-Mbomou à travers l’amélioration de l’offre et de l’accès aux soins des populations. République centrafricaine, février 2023. Ce projet a reçu le soutien financier du Fonds Bêkou. Photographies : Cora Portais / ALIMA