« Tout ce que nous ressentions, c’était des larmes, la faim et la soif » : fuite et survie au Darfour Nord, Soudan

Les patients des cliniques mobiles d’ALIMA à Tawila racontent leurs parcours éprouvants pour fuir les violences, alors que le conflit et la crise humanitaire s’intensifient au Darfour Nord.

Depuis le déclenchement du conflit en avril 2023, le Soudan fait face à l’une des plus grandes crises de déplacement et de faim au monde. Près de 13 millions de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer, et plus de 30 millions dépendent désormais de l’aide humanitaire. La famine ravage le Darfour Nord.

À la suite d’une brutale recrudescence des violences à El Fasher, capitale du Darfour Nord, en avril 2025, des centaines de milliers de femmes et d’hommes ont fui vers la petite ville de Tawila, à la recherche de sécurité et de nourriture. Déjà en manque de ressources, Tawila est aujourd’hui submergée par cet afflux massif de familles déplacées.

Des cliniques mobiles pour une réponse d’urgence

ALIMA a été l’une des premières ONG médicales à intervenir à Tawila en avril 2025, en installant des cliniques mobiles d’urgence et en formant et soutenant le personnel soignant local du ministère de la Santé. Ces cliniques mobiles fournissent des services vitaux de santé et de nutrition aux populations déplacées comme aux communautés hôtes : consultations médicales, dépistage et traitement de la malnutrition infantile, soins prénataux et postnataux, vaccination, sensibilisation à la santé et à l’hygiène.

Depuis février 2025, plus de 28.000 personnes ont bénéficié de soins dans ces cliniques mobiles. Voici les témoignages de certaines d’entre elles, et les épreuves qu’elles ont traversées pour arriver jusqu’à Tawila.

Du danger au péril

Marwan

« À El Fasher, c’était extrêmement difficile. Je travaillais dans un atelier au marché, mais il a été détruit. Les gens vivent dans des conditions terribles. Ils finissent par serrer leur ventre avec leur ceinture pour calmer la faim. On survivait à peine. C’était comme une prison à ciel ouvert, sans possibilité de s’échapper.

On a finalement quitté El Fasher à pied, mais on a vite été attaqués par des bandits qui ont pris notre nourriture et tous nos effets personnels. On a continué à marcher, mais on s’est encore fait arrêter et frapper. L’un d’eux m’a frappé fort à la nuque.

Sur la route, on a vu une femme morte — je pense qu’elle est morte de soif. À côté d’elle, un bébé pleurait. On l’a emmené avec nous.

Après deux jours sans manger, on est enfin arrivés ici à Tawila. Par chance, les habitants nous ont donné à boire et un repas. J’avais mal à la nuque et aux jambes, alors je suis venu au centre de santé. J’ai reçu des antidouleurs et une injection. »

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Fatima

« À Zamzam, ils sont entrés dans les maisons et ont tué tout le monde — enfants, personnes âgées, tout le monde. Même ceux cachés sous les lits — ils les ont tirés dehors pour les exécuter. Ils ont brûlé les maisons. Ils nous ont attaqués — j’ai vu quelqu’un tomber mort juste devant moi.

On est partis le lendemain matin, on a marché deux ou trois jours. D’autres ont été tués. Des enfants gisaient morts dans les rues. Des personnes âgées aussi. On n’avait que de l’eau. On a énormément souffert. Beaucoup ont eu la diarrhée ou d’autres infections. »

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Asma

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« J’ai dû fuir plusieurs fois — d’abord d’El Fasher au camp Al-Shajara, puis au camp de Zamzam, et maintenant à Tawila. Ce qui s’est passé à Zamzam était, honnêtement, très dur. On marchait et on trouvait des cadavres juste à côté — sans personne pour les enterrer, même pas un tissu pour les couvrir.

On a quitté Zamzam à pied, de nuit, pensant que ce serait plus facile. Mais on a eu un accident, et ma mère et moi avons été blessées. On a marché encore quatre jours avant d’arriver à Tawila. Honnêtement, c’était une expérience terrifiante et douloureuse — qu’on ne souhaite à personne. »

D’une crise à l’autre

Hassane

« Ma jambe a été brisée lors des bombardements à El Fasher. Ma grande sœur est morte. Les enfants de mon frère, 19 et 12 ans, sont aussi morts. J’ai cinq enfants. L’un d’eux est décédé. La vie à El Fasher est devenue impossible.

J’ai dû marcher 70 km avec ma jambe blessée pour rejoindre Tawila, car il n’y avait pas de transport. Ici, c’est plus sûr. Je suis venu chercher un médecin pour ma jambe, mais il n’y a pas de spécialiste à Tawila pour m’aider. »

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Afraa

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« On a été forcés de fuir, et certains de ceux qui voyageaient avec nous sont morts en chemin. Certains membres de notre famille ont été tués, d’autres sont morts. On souffrait de la faim — mon fils a énormément souffert de la faim et de la soif. »

Rania

« On est venus à pied. On n’avait rien. La guerre et la faim, c’est ce qui nous a poussés à quitter El Fasher.

Franchement, c’est trop de souffrances. On a perdu beaucoup de monde, tellement de morts.

On est partis de nuit, à pied — deux jours de marche, à dormir sur la route. On n’a pas rencontré de danger — pas de violence, pas d’embuscades. Mais honnêtement, tout ce qu’on ressentait, c’était des larmes, la faim et la soif.

Ici, mon fils est malade — l’autre aussi. L’un a de la fièvre et des crampes d’estomac. Ils m’ont donné des médicaments — des comprimés pour les maux de tête et de ventre. Sans ce centre de santé, la situation se serait gravement détériorée. Dieu merci, au moins, ce centre existe. »

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Mashir

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« On a quitté Zamzam parce qu’on mourait de faim et de soif. Il nous a fallu deux jours pour arriver ici. On a beaucoup souffert sur la route. Nos propres gens ont volé des téléphones, arraché des vêtements. Ils ont laissé les gens nus, couchés dans la poussière et la chaleur.

On avait faim et soif. On a passé la nuit dans la peur, on était terrorisés. Quand on est arrivés à Tawila, on était déjà malades. Je suis venue chercher des médicaments pour les enfants. Moi aussi, je suis malade — la chaleur est épuisante, j’ai aussi des douleurs au ventre.

Le bébé que je porte ne bougeait plus ce mois-ci. Honnêtement, ça m’a brisé le cœur. J’ai fait des examens. Les médecins m’ont donné des médicaments. Ils m’ont dit qu’il allait bien, mais qu’il était très faible. »

Hamed, originaire de Tawila, a été contraint de fuir sa ville en 2003 lors des attaques pendant la guerre du Darfour. Il vivait depuis au camp d’Abu Shouk à El Fasher. Cette année, il a de nouveau dû fuir et est retourné à Tawila, à la recherche de sécurité.

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« La vie à El Fasher était très dure. Les routes étaient bloquées. Les prix étaient exorbitants, les marchés vides. C’était extrêmement difficile.

Chaque fois que je voulais sortir chercher à manger ou de l’eau au puits pour mes enfants, les bombardements m’en empêchaient — on devait toujours se cacher dans des tranchées. Au moindre bruit, on courait se cacher. J’ai été blessé par un obus. J’ai pu me faire opérer du bras cinq jours plus tard, et je me suis rétabli chez moi. Mais les médicaments manquaient, et il n’y avait pas assez de nourriture à El Fasher.

On a dû partir avec le peu qu’on avait. Mais sur la route, on s’est fait piller, y compris mon sac de médicaments. Aujourd’hui, je viens régulièrement à ce centre de santé pour faire panser ma plaie et recevoir mes médicaments. »

Là où commence la guérison

Les voix de Rania, Hassane, Mashir, Hamed et tant d’autres témoignent du lourd tribut du conflit au Soudan : pertes humaines, déplacements, faim, et besoin urgent de soins. Pour beaucoup, les cliniques mobiles d’ALIMA apportent un soutien médical vital et un peu d’espoir.

Alors que les besoins ne cessent d’augmenter, un soutien continu est indispensable pour permettre aux familles de survivre et commencer à se reconstruire.

Les activités d’ALIMA à Tawila sont soutenues par un financement humanitaire de l’Union européenne.