Au début de l’épidémie, la situation dans les systèmes sanitaires d’Asie puis d’Europe faisait craindre le pire pour l’Afrique. La courbe ascendante du nombre de nouveaux cas de la COVID-19 à Dakar inquiétaient la communauté médicale. Dès les premiers cas déclarés dans le pays, l’Hôpital de Fann, soutenu par ALIMA (The Alliance for International Medical Action) pour la gestion du flux de patients, leur prise en charge et les mesures de protection et contrôle de l’infection, était prêt à recevoir les patients.
Au fil des semaines, la tendance a évolué dans le pays : de principalement importée, la transmission est devenue communautaire. ALIMA a décidé de réorienter ses activités en direction des communautés locales. Alors que les foyers du virus se répandaient, l’équipe Urgences d’ALIMA, en collaboration avec le Centre des Opérations d’Urgences Sanitaires, a visité de nombreux centres de santé à Saint-Louis, Louga, Thiès et Touba, pour évaluer la capacité de prise en charge des cas de la COVID-19 dans le pays.
Un hôpital et dix postes de santé de banlieue
A partir de juin, c’est dans la banlieue dakaroise que l’équipe concentre ses efforts. Dans le district sanitaire de Yeumbeul, à vingt kilomètres au nord du centre de Dakar, la transmission est intense. L’équipe ALIMA a alors proposé son soutien à l’hôpital et dix postes de santé du district. Pendant plusieurs semaines, ALIMA a appuyé le centre de traitement COVID-19 du district, formé du personnel de l’hôpital en prévention et contrôle des infections et réhabilité des installations essentielles dans un contexte épidémique : des zones de triage à l’entrée des structures sanitaires, des zones à déchets avec incinérateur et des laveries dédiés.
Adama Traoré, superviseur technique de l’hôpital de Yeumbeul, explique le fonctionnement de l’incinérateur de déchets du Centre de traitement COVID-19, installé au sein de l’hôpital grâce à l’appui d’ALIMA. Sénégal, 10 septembre 2020
Le 25 septembre, après 15 semaines de fonctionnement, 123 patients positifs à la COVID-19 avaient été soignés dans le centre de traitement COVID-19 de l’hôpital de Yeumbeul. Fin septembre, n’accueillant plus de patients, il a fermé ses portes, le Ministère de la Santé préférant une prise en charge des cas simples à domicile. Les cas graves sont référés dans les centres de traitement COVID-19 de Dakar.
Globalement, la transmission communautaire ne s’arrête pas pour autant. « Le nombre de cas détectés diminue, mais les données tendent à montrer que le virus continue de circuler dans la communauté », relève le Dr Zéphirin, coordinateur médical chez ALIMA au Sénégal. « Il y a beaucoup de cas asymptomatiques, le virus est moins visible. Mais en circulant, il continue d’être un danger pour les personnes les plus vulnérables face à la COVID-19. »
Se fonder sur la confiance communautaire
Des campagnes de sensibilisation sont menées par le Ministère de la Santé sénégalais depuis le début de l’épidémie, au travers de spots radio et télévisuels entre les programmes les plus écoutés ou regardés du pays. « Au début de la pandémie, le discours a été très centré sur la vulnérabilité de certaines personnes : les plus âgées et avec comorbidité », se souvient Papa Ndiaga Cissé, anthropologue et référent du volet engagement communautaire de la mission Sénégal ALIMA. « Le problème c’est que cela décharge les autres membres de la communauté de leur responsabilité dans la propagation du virus ».
Dans un pays où la plupart des cas sont asymptomatiques ou modérés, où ceux qui sont atteints par le virus se font discrets voire invisibles, à quoi bon faire des efforts ? « Il faut réussir à toucher les jeunes pour qu’ils se sentent concernés, eux aussi, par la COVID-19 », assure le spécialiste.
Formation sur la cartographie sociale par le superviseur de la promotion de la santé (HP) Mamadou Thierno Sall avec le relai communautaire Aliou Diouf au poste de santé Pacotille, au sud de Yeumbeul. Octobre 2020, Sénégal. © équipe communautaire ALIMA
Depuis début septembre, une carte gigantesque sous le bras et des crayons colorés dans la poche de sa veste, l’anthropologue étudie les dynamiques communautaires de 147 quartiers du district sanitaire de Yeumbeul. Petit-à-petit, rencontre après rencontre, avec ses collègues, ils ont identifié et rencontré ceux qui sont des figures de référence pour la population.
Ces personnes, ce sont les « leaders » : les 147 chefs de quartiers, mais aussi les leaders religieux (imams et dahiras, des représentants des confréries). « Je les appelle même des “champions” car les communautés investissent sur eux de l’affection et de la confiance. Elles reconnaissent leur leadership », explique Papa Ndiaga Cissé. Ils peuvent être aussi des professionnels de la santé, des chefs de tontines (banques communautaires de microcrédit, souvent féminines, répandues en Afrique), des entraîneurs sportifs, présidents d’associations, etc.
« Ce lien de confiance est plus puissant que n’importe quel spot de publicité », assure l’anthropologue. C’est pourquoi ALIMA le place au cœur de sa nouvelle stratégie pour identifier, informer, protéger et soigner les populations les plus vulnérables face au virus. Les leaders sont les mieux placés pour faciliter l’identification des personnes les plus vulnérables. Mieux écoutés lorsqu’il s’agit de se rapprocher des structures de santé. Mieux équipés lorsqu’il s’agit de sensibiliser. Les leaders deviennent de véritables opérateurs pour co-construire des solutions adaptées à une population qu’ils connaissent parfaitement. Sur 324 000 habitants des 147 quartiers visés jusqu’alors par ALIMA, 30 000 personnes ont été identifiées comme vulnérables au virus (âgées de plus de 50 ans).
Les grands axes de la nouvelle stratégie d’ALIMA au Sénégal sont donc posés : elle est avant tout communautaire. Mais les lignes sont en cours d’écriture avec ceux et celles qui en seront les bénéficiaires. Co-construire avec la communauté sera le meilleur moyen d’être plus efficaces sur le long terme.
Le projet ALIMA de réponse à la COVID-19 au Sénégal reçoit le soutien financier de l’Agence française de Développement (AFD) et de la Fondation Sanofi Espoir.
Photo de couverture : © équipe communautaire / ALIMA