Paris, le 09/10 – À l’échelle mondiale, environ 280 millions de personnes souffrent de troubles dépressifs selon l’OMS, soit 3,8 % de la population. Et ces troubles ne représentent qu’une partie des problèmes de santé mentale. L’ampleur du problème nécessite un engagement mondial. Si la plupart des pays occidentaux accordent une importance croissante à la santé mentale (6 à 12 % des budgets de la Santé en Europe et en Amérique du Nord), les pays africains quant à eux y consacrent en moyenne moins de 1 % de leurs budgets de Santé (eux-mêmes très limités). Sur le terrain, l’ONG d’urgence médicale ALIMA – The Alliance for International Medical Action – lance un appel : il est urgent de changer certaines pratiques pour pouvoir mieux prendre en charge la détresse de populations abîmées de l’intérieur.
Dr Jean-Pierre Atsoutse ALLEY, référent santé mentale pour l’ONG ALIMA : « Dans les contextes de crises et d’urgences, les populations sont exposées à des facteurs de stress extrêmes, des violences inouïes, susceptibles d’affecter leur santé mentale durablement. Dans le camp d’Adré par exemple, à l’est du Tchad, ALIMA soigne des Soudanais réfugiés depuis le début du conflit dans leur pays, en avril 2023. Beaucoup d’entre eux ont été témoins du massacre de leurs proches, forcés à quitter leurs foyers, ont subi des violences sur la route et se retrouvent dans des conditions très précaires. Je me souviens d’une femme venue nous voir pour des soins gynécologiques. Elle avait été témoin de l’exécution de son mari, avait accouché sur la route de l’exode et avait été agressée sexuellement. Les soins gynécologiques sont extrêmement importants ; mais comment espérer que cette femme recouvre la santé si on ne lui apporte pas aussi un soutien en santé mentale ? »
Dans le camp d’Adré, ALIMA assure un premier niveau de soutien psychologique grâce à des agents de santé mentale ; un psychologue intervient pour les cas les plus compliqués. 870 patients ont été reçus par les équipes d’ALIMA depuis avril 2023, mais selon les estimations, près de 40 000 personnes auraient rapidement besoin de soins de santé mentale. Les moyens sont donc insuffisants et la nécessité de ces soins encore trop peu prise en compte par les bailleurs et les acteurs humanitaires.
Retrouvez en vidéo le témoignage du Docteur Alley après sa visite dans le camp des réfugiés soudanais au Tchad.
Mettre la santé mentale aussi au cœur de la réponse humanitaire
La définition de la santé selon l’Organisation Mondiale de la Santé est pourtant claire : “La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. La dimension mentale de la santé est considérée, sur la papier, comme fondamentale.
Or, en Afrique, où l’accès aux soins est globalement limité, la prise en charge médicale se résume encore très souvent à la seule dimension physique, organique. Malnutrition aiguë ou chronique, épidémies… l’urgence curative de maladies organiques est en effet partout. Dans ce contexte, la santé mentale et le soutien psychosocial sont depuis longtemps et encore trop souvent aujourd’hui, le parent pauvre de la santé, y compris dans la réponse humanitaire médicale.
Sur le terrain, les équipes d’ALIMA observent pourtant la nécessité d’intégrer plus fortement ce volet dans leurs activités. Depuis le début de l’année 2023, 157 393 patients ont ainsi été soignés par ALIMA, toutes consultations confondues (individuelles, de groupes, en ligne, etc.), dans les treize pays couverts par l’ONG. Parmi les personnes accompagnées, 31 479 ont été reçues pour des troubles ou problèmes chroniques de santé mentale. Cela représente près de 20 % des interventions assurées par 35 psychologues et agents de santé mentale, aidés par 1 565 volontaires communautaires.
Pour un financement à la hauteur des défis de la santé mentale
Dans les situations de crise, et dans la réponse humanitaire en général, chaque organisation intervient selon son mandat propre : les uns construisent des abris, les autres distribuent de la nourriture, d’autres soignent… les corps. Les soins de santé mentale et de soutien psychosocial restent trop rares, ils devraient être pourtant systématiquement intégrés au narratif des projets et dans les budgets. C’est souvent là que le bât blesse : ces soins sont très souvent négligés.
ALIMA intègre, dans la mesure du possible, un volet santé mentale dans ses propositions de projets auprès des partenaires financiers. Mais lorsqu’il faut faire des choix pour réduire les coûts, c’est bien souvent cette ligne du budget qui est coupée. Certains bailleurs ont heureusement compris la réalité et l’importance des besoins, et acceptent de faire un effort financier. C’est à saluer, mais ils sont encore rares. ALIMA lance un appel pour que les bailleurs considèrent systématiquement l’importance de la santé mentale dans les budgets alloués et pour que les organisations humanitaires médicales puissent ainsi mieux l’intégrer dans leurs activités.
Soigner les corps ne suffit pas, il faut aussi soigner la psyché pour donner une chance aux populations les plus vulnérables de se reconstruire complètement et de se projeter durablement vers l’avenir.
Photo de couverture : © Seyba Keita / ALIMA