En 2022, 3,4 millions de personnes étaient privées d’assistance et de protection dont 2 millions avec des besoins humanitaires particulièrement sévères. Les taux de mortalité maternelle et infantile sont les cinquièmes plus élevés au monde, avec 829 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes et 103 décès infantiles pour 1000 enfants avant l’âge de cinq ans.²
Dans ce type de contexte particulièrement complexe, ALIMA travaille d’arrache-pied pour rendre les soins accessibles à des populations durement touchées, voire physiquement et psychologiquement traumatisées.
Depuis octobre 2022, ALIMA (The Alliance for International Medical Action) travaille dans la maternité du centre de santé des Castors, situé au cœur de Bangui, la capitale du pays. L’ONG a d’abord réhabilité le centre, renforcé les capacités du personnel (sages-femmes nationales, matrones, assistant.es au service de néonatologie) et appuie le fonctionnement de la maternité. La population du district a été approchée lors de campagnes de sensibilisation pour informer de la gratuité de soins de qualité dans le centre.
L’objectif : améliorer l’accès aux soins dans la zone, notamment en santé sexuelle et reproductive, planification familiale, santé mentale et soutien psychosocial.
Gypsie Christelle Nambozouina, 30 ans, est psychologue clinicienne à la maternité des Castors. Elle nous raconte son travail au quotidien et ce qu’endure la population centrafricaine, en particulier les femmes et les enfants, dans un contexte sécuritaire instable.
Être psychologue clinicienne dans cette maternité, en quoi cela consiste-t-il ?
Mon travail consiste à accompagner sur le plan psychologique les patientes en détresse et leurs proches. Ce lieu accueille des femmes aux problématiques très différentes et qui nécessitent un accompagnement global. Nous recevons par exemple des femmes enceintes qui ont besoin d’une césarienne pour accoucher ; je les prépare mentalement avant qu’elles ne rejoignent le bloc opératoire, car beaucoup d’entre elles ont des peurs, des pensées intrusives, c’est-à-dire des images désagréables qui reviennent et qui peuvent générer de l’anxiété.
Je suis également les femmes qui viennent accoucher et qui s’avèrent être positives au VIH. Certaines ne sont pas au courant… Je dois leur annoncer et les accompagner psychologiquement avant de les présenter au service de prise en charge du VIH, où elles recevront un traitement. Je reçois aussi des femmes qui malheureusement voient leur grossesse s’arrêter avant terme, ou dans d’autres cas, des morts foetales, des morts-nés, des complications liées à un avortement.
En parallèle, je travaille sur les violences basées sur le genre (VGB). Nous recevons beaucoup de cas de violences qui nécessitent un suivi psychologique indispensable : viols, agressions sexuelles, violences psychologiques, violences physiques, dénis de grossesse liés à des violences, etc. Nous accueillons principalement des femmes, mais aussi parfois des enfants…
Dessin de sensibilisation sur le mur de la maternité du centre de santé des Castors. Février 2023. Bangui, République centrafricaine. © Cora Portais / ALIMA
Le contexte sécuritaire du pays favorise-t-il les violences basées sur le genre ?
Les causes des VGB sont nombreuses. Nous recevons beaucoup de cas de violences psychologiques liées à des abandons de femmes par leur mari et de survivant.e.s de viols. C’est certain que l’insécurité favorise les violences basées sur le genre en RCA et qu’elle a un impact important sur la santé sexuelle des patientes.J’organise des séances de psychoéducation pour les proches des patientes afin de les sensibiliser sur les violences faites aux femmes et aux conséquences sur leur santé sexuelle et mentale. C’est nécessaire pour que la population en prenne conscience et que les choses changent.
Qu’est-ce qui te motive à travailler sur cet accompagnement pourtant difficile ?
J’ai étudié ici, dans mon pays. Après mon baccalauréat, j’ai fait une première année de sociologie. Je l’ai réussie, mais j’ai appris qu’un nouveau département était créé à l’université de Bangui : la psychologie. L’un de mes professeurs m’a expliqué que ce nouveau département était créé pour mieux faire face aux événements que le pays traverse [deux guerres civiles en 2012 et 2013, NDLR]. « De nombreuses personnes vont avoir de plus en plus de troubles psychologiques », m’a-t-il dit. « La guerre entraîne, entre autres, des violences et des morts, et le soutien en santé mentale permet d’accompagner les familles. » L’université de Bangui forme tous les ans une cinquantaine de nouveaux psychologues.
Cet échange a orienté ma carrière : j’ai obtenu mon master 1 en psychologie et depuis, j’ai travaillé pour plusieurs ONG. Ensuite, en tant que femme, j’aime soutenir d’autres femmes qui souffrent et les aider à avoir un équilibre mental. C’est gratifiant de contribuer à la bonne santé des patientes. Je suis fière de travailler auprès des femmes centrafricaines, et plus largement, à travers celles que j’accompagne, c’est toute la population de mon pays que je soutiens.
Portrait de Gypsie Christelle Nambozouina, psychologue clinicienne sur le projet de santé sexuelle et reproductive du centre de santé des Castors. Février 2023. Bangui, République centrafricaine. © Cora Portais / ALIMA
Quelles histoires t’ont particulièrement marquées ?
Toutes les histoires des patientes m’ont marquées et sont touchantes.
Les accouchements sont toujours émouvants. Je ressens immédiatement les douleurs de certaines femmes qui viennent accoucher et pour qui c’est difficile. Parfois elles s’expriment, parfois elles pleurent. Lorsque c’est le premier accouchement d’une femme ou d’une fille, on appelle cela « les premiers pas ». J’aime être auprès d’elles pour les accompagner psychologiquement.
Lorsque des femmes positives au VIH sont prêtes à rentrer chez elles, je les appelle régulièrement pour les soutenir, les encourager à accepter et poursuivre leur traitement. Souvent, des patientes reviennent ici pour me remercier, c’est ma fierté.
Portrait de Floranie Malizeno et sa petite fille nouvellement née à la maternité du centre de santé des Castors. “C’est mon premier enfant. Mon accouchement s’est bien déroulé. Les soignantes sont très attentionnées ici.” © Cora Portais / ALIMA
Quels sont tes rêves, pour toi et pour ton pays ?
Je suis la seule psychologue à travailler sur ce projet de santé sexuelle et reproductive. Je reçois beaucoup de patientes et j’aimerais être aidée par d’autres psychologues sur le projet. Au moment où nous échangeons, cinq patientes et les personnes qui les accompagnent m’attendent, sans parler des urgences. Je gère ce service seule et je m’applique à suivre attentivement chaque patient.e, mais je ne peux pas faire plus. Je donne beaucoup de mon temps et de mon énergie aux patients, car selon moi, le métier que j’exerce dans ce contexte sécuritaire est essentiel.Les violences sont fréquentes dans mon pays, notamment envers les femmes et les enfants. Nombreuses sont celles qui perdent la vie en donnant naissance. Je pense qu’il n’y a pas de santé, ni de santé sexuelle et reproductive, sans inclure la santé mentale. L’équilibre doit être physique et mental.
Photo de couverture : © Cora Portais / ALIMA
¹ Source : Banque Mondiale
² Source : Humanitarian Needs Overview 2023, United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, janvier 2023
Ce projet a reçu le soutien financier de l’UNFPA (le Fonds des Nations Unies pour la population).