Au Tchad, sous les tentes de fortune, des femmes réfugiées brisées par la guerre

Dans le chaos du conflit au Soudan, des centaines de milliers de femmes ont fui avec leurs enfants, à pied, ou à dos d’âne, quand elles en ont eu la chance, les bras chargés de tout ce qu’elles ont pu sauver, c’est-à-dire peu. Dans les camps de Goz Beida, à l’est du Tchad, nos équipes sont mobilisées nuit et jour pour leur apporter des soins.

« On a vu une femme qui a marché des kilomètres et des kilomètres sans chaussures, sans eau, avec un enfant amaigri et complètement déshydraté ».

Une femme dans le plus grand dénument arrivée la veille. Une parmi tant d’autres que rencontre Hama Amadou, chef de projet pour ALIMA à l’est du Tchad.

Depuis que la guerre a éclaté au Soudan en avril 2023, près d’un million de personnes ont trouvé refuge à l’est du Tchad. Parmi elles, une écrasante majorité de femmes et d’enfants : environ 90 % chez les réfugiés soudanais, et 93 % chez les Tchadiens rapatriés (Organisation mondiale de la Santé, 2024). Ces femmes sont les premières victimes de la brutalité de cette guerre.

Avril 2025 Goz Beida Tchad. © Ali Tondi Moctar AFROTO ALIMA 2
A l’ombre du centre de santé du camp de Zabout, des femmes patientent en attendant d’être prises en charge par les soignants d’ALIMA.
Avril 2025 Goz Beida Tchad. © Ali Tondi Moctar AFROTO ALIMA 3

Violence, exil et silence

Si dans leur pays, le conflit rime avec la mort, pour ces femmes isolées et sans protection, l’exil rime avec le viol. Environ 77 % des femmes réfugiées à l’est du Tchad sont arrivées seules avec leurs enfants (UNHCR). Beaucoup d’entre elles sont des survivantes de violences sexuelles atroces, perpétrées pendant leur fuite. 

Et dans les camps de fortune, la paix n’est pas acquise. Les femmes doivent encore parcourir de longues distances pour trouver de l’eau ou du bois pour le feu. Des kilomètres où se jouent de nouveaux risques d’agressions physiques et sexuelles.

« Un jour, avec trois de mes voisines, nous sommes allées en brousse à la recherche des fagots. On a été agressées par deux hommes. Les autres femmes n’étaient pas chargées, elles ont pu s’échapper. Moi j’avais mon enfant au dos, je ne pouvais pas courir. L’un d’eux m’a retiré mon enfant, l’autre m’a violée. » 

De retour au camp de Zabout – qui abrite plus de 50 000 personnes et qui ne cesse de croître – cette survivante a reçu des soins médicaux gratuits et un accompagnement psychosocial dans le centre de santé construit par ALIMA.

« J’ai vu un médecin, puis un psychologue. J’ai reçu un traitement. Les relais communautaires viennent même jusqu’à chez nous. »

Avril 2025 Goz Beida Tchad. © Ali Tondi Moctar AFROTO ALIMA 4
Chaque matin, des volontaires communautaires sillonnent le camp de Zabout pour identifier les besoins et accompagner les familles vers les soins.

Des soins vitaux …

« Je me souviens d’une jeune dame qui avait été « dotée » dans son pays, au Soudan. Sur la route vers le camp, elle a été violée », raconte Gédéon Balamto, psychologue clinicien pour ALIMA dans le camp de Zabout. « En plus de la violence de cette agression, c’était très difficile pour elle sur le plan culturel. »

L’accès à des soins médicaux et psychologiques de qualité est vital pour ces femmes.

A Zabout, ALIMA fournit des consultations gynécologiques, un soutien psychosocial, des équipes mobiles pour aller à la rencontre des survivantes, et si nécessaire, une orientation vers d’autres organisations en charge des démarches administratives et judiciaires.

Avril 2025 Goz Beida Tchad. © Ali Tondi Moctar AFROTO ALIMA 5
Avec l’équipe médicale, Gédéon met en place une thérapie adaptée à chaque personne.
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« Ma vocation, c’est d’aider les personnes en détresse à se reconstruire, à retrouver l’espoir. »

… mais largement insuffisants

Entre janvier et mai 2025, les équipes d’ALIMA ont pris en charge 136 cas de violences basées sur le genre dans les camps de personnes réfugiées autour de Goz Beida, dont 13 cas de viols, 9 agressions sexuelles et 89 agressions physiques.

Des chiffres élevés, mais bien en deçà de la réalité.

Car les violences sexuelles sont massivement sous-déclarées : par peur, par honte, ou par manque de structures adaptées. « Ça fait mal au cœur quand vous voyez certaines mères qui viennent mais qui n’ont aucune solution en dehors de ce que nous offrons », témoigne Hama Amadou

« Les équipes d’ALIMA sont très mobilisées, nous fonctionnons 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour offrir des soins. Il ne faut pas qu’il y ait de rupture de soins ! »

L’aide humanitaire à bout de souffle

Tous les jours, des femmes fuyant le front – épuisées, traumatisées, victimes collatérales et survivantes invisibles – continuent d’affluer vers le Tchad, enfants au dos ou sur la hanche.

Et pendant ce temps, l’aide humanitaire subit des coupes drastiques. Les moyens manquent. Des bailleurs de fonds restent mobilisés, mais l’offre de soins n’est pas du tout à la hauteur des besoins. Les structures sont peu nombreuses, les professionnels spécialisés rares. Avec l’aide médicale d’ALIMA, ces femmes trouvent une lueur d’espoir. Mais cet espoir reste fragile. 

Face à l’urgence, il est impératif que la communauté internationale renforce son soutien. Pour que ces femmes, ces mères, ces survivantes puissent être soignées de manière digne et continue. 

Ce projet est rendu possible grâce au financement humanitaire de l’Union européenne.

Texte : Marie Lechapelays
Photos : Ali Tondi Moctar – AFROTO / ALIMA
Prises en avril 2025 à Goz Beida, Tchad